Edito 2024
Cep de Table est à la fois mon doudou, mon échappatoire, mon observatoire, mon confident.
J’y dépose mes coups de cœur, mes émotions de dégustation, parfois quelques recettes de cuisine ou accords qui me semblent intéressants. Il est mon compagnon de route depuis cinq ans déjà, et il évolue en fonction de mes envies, de mes cheminements, sans plan tracé ni route imposée. Je navigue au gré de mes intuitions dans l’univers magique du vin. Dans l’univers de ceux qui font du vin devrais-je dire. Je n’ai pas la prétention de tout savoir, de tout connaître dans toutes les régions, j’en suis parfaitement conscient. Je passe certainement à côté de plein de belles choses et de personnages remarquables, mais si le hasard ou le vent le veulent bien, pas de souci, nos chemins se croiseront un jour.
Néanmoins, je suis fier de toutes mes découvertes.
Ma chance est d’être libre, non contraint par un patron, un impératif financier, une nécessité commerciale. Si ce n’est d’être in fine tout de même rentable. Je ne suis pas non plus un influenceur-influencé invité pour parler d’un produit, ni redevable à quiconque de quoi que ce soit. Et surtout je me méfie des évidences.
Je parle de ce que j’aime, un point c’est tout. Je mesure cette chance.
Mes goûts évoluent. Nos goûts à tous évoluent. Sur le vin comme sur la nourriture. Ou la musique, la peinture, l’art en général. Tout ce qui nous fait vibrer. Car on vibre différemment avec les années. Je me rends compte qu’inconsciemment je fais de moins en moins (plus du tout… ?) de concession. À la recherche de LA vibration pure.
J’aime le produit brut pour lui-même, la cuisine sans ostentation (ce qui ne veut pas dire sans goût). Je recherche des vins qui me transportent dans une autre dimension, un métavers sensoriel. Cela peut être un simple Beaujolais blanc comme une syrah du Rhône nord. Toucher, odorat… tout dépend du moment.
Il n’y a pas de goût universel, comme de ressenti homogène. Ni de vérité. Par nature. Par sensibilité. Fort heureusement.
Nous n’avons pas tous les mêmes capteurs sensoriels et surtout nos cerveaux ne décodent pas ces impulsions électriques de la même manière. Nous avons nos propres algorithmes, nos référentiels. Nos madeleines.
J’ai eu la chance de vivre une enfance en bord de mer, dans les odeurs iodées et maritimes. La marée basse de fin de journée, le goémon qui sèche sur le sable ou au fond du port. Les poissons à la criée au petit matin. Mon papa était pêcheur, comme son père et le père de son père. Je suis donc naturellement capable de reconnaître à l’aveugle le crustacé en train de griller, de mettre un nom sur différents stimuli marins qui laisseront d’autres nez totalement hermétiques. Non qu’ils ne sentent pas. Simplement qu’ils ne peuvent pas décoder les informations de la même façon. Parfois même ils seront rebutés par ces effluves inconnus. Donc la salinité d’un Chenin me parle, la précision tranchante d’un Muscadet me fait saliver.
Cela s’applique bien évidemment aux fruits de notre verger ou marché du quartier, aux fleurs de notre jardin, aux viandes mijotées longuement, aux champignons de nos sous-bois, aux gâteaux que notre maman ou grand-mère nous faisait pour nous consoler du dimanche soir trop proche du lundi.
Même s’il est possible « d’apprendre » les odeurs, cela restera toujours un peu artificiel à mon point de vue. C’est pour cela que je ne me suis jamais senti à l’aise dans un standard de dégustation (on ne va pas les citer), beaucoup trop scolaire ou normé. Qui ressemble à une liste à la Prévert d’odeurs cataloguées. Quand il n’emploie pas des termes ésotériques uniquement compréhensibles aux initiés.
Tu ne sens pas la framboise ? Le cassis ?
Le vin n’est pas là pour faire penser à un fruit, il y a les jus pour cela. Par contre il véhicule des images, agréables ou pas, qui s’allument chez chacun en fonction de son imaginaire et de son vécu. Et ces images mentales créent le plaisir, et ce plaisir participe à l’accueil que l’on fait au vin.
Non, je ne sens pas le cassis. Mais je revois les tartines de mes quatre heures, beurre-confiture ou beurre-chocolat.
Au-delà des parfums et des arômes qui stimulent une zone bien précise de notre cerveau, il y a le contact, la sensation physique apportée par le liquide que l’on met en bouche. Et le vin n’est pas un simple jus. Il possède du relief, il est capable de caresses comme de morsures.
Un test. Prenez une gorgée d’eau, faites-la tourner dans votre bouche avant de la cracher. Il vous reste une sensation de fraîcheur qui va disparaître rapidement sans vraiment s’accrocher à vos gencives. Et qui est plutôt centrée dans votre bouche, milieu de la langue.
Répétez l’exercice avec un jus de fruits (de préférence par trop chargé en sucre, qui va saturer vos papilles). Déjà le contact est différent. Plus de rondeur ou d’acidité selon le fruit, et la bouche réagit différent. Les « particules » semblent s’accrocher et occuper plus d’espace.
Passez ensuite à un vin. Blanc ou rouge. Sans vouloir faire un cours de dégustation, la sensation est tout autre, plus « multidimensionnelle ». Quelque chose d’indéfinissable. C’est justement ce quelque chose qui va définir le vin, au-delà de ses arômes de fraises ou de poire. Son essence. Son âme, qui va communiquer (communier… ?) avec vous tout entier et pas simplement avec votre nez.
Le blanc sera plus fluide, balancera entre douceur, fraîcheur, acidité ou sucrosité. Peut-être même salé. Ou salivant. Un rouge va rajouter de la matière, une indéfinissable sensation de particules solides plus ou moins agréable ; puissantes, excitantes, ou sèches ou irritantes. Parfois même il donne envie d’être mâché. Il faut alors prendre son temps, l’accueillir. Je ferme alors les yeux.
Et mon tout procure un sourire, un étonnement, une bouche entièrement sous le charme. Et une envie d’y retourner. Ou pas.
Je choisis un vin pour ma cave et pour Cep de Table quand je sens un léger frisson parcourir le bras qui tient le verre. Qui semble m’inviter à pousser l’expérience un peu plus loin… Une première approche importante car elle va déterminer la nature de la relation à venir.
Presque un jeu de séduction.
Parfois le vin est timide, il a besoin de temps pour se dévoiler. Le plus souvent quelques minutes suffisent. Parfois plus grande gueule, il affiche immédiatement sa générosité. Il faut donc savoir prendre son temps et imaginer ce qui se cache derrière la porte entrouverte. Les grands vins aiment faire languir.
C’est aussi ce qui fait leur charme.
Pas parce qu’ils sentent la poire, le chocolat ou la brioche.
Je vous souhaite de belles rencontres.
Bruno
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