CLOS DU JAS
Épisode 2 la morphologie du nouveau-né

Je m’en excuse à l’avance, cet article est rébarbatif. Très. Il va oser parler de chimie, de vinification, alors que vous vous attendez à plus de poésie. J’ai tenté d’arrondir les angles, gommer les aspérités, humaniser les formules, il en reste tout de même. Je remercie votre patience et compréhension. Je me lance.

Élevage du vin : « Ensemble des soins à donner aux vins pour les amener à leur qualité optimale. » annonce le Larousse, qui fait ensuite le parallèle avec les petits enfants, les lapins et les visons (sic). J’adore. Nous allons donc ensemble visiter cette nurserie qui ne doit être que tendresse, câlin et chaleur (ce n’est pas moi qui le dis), et chansons douces (que me chantait ma maman) qui résonnent aux oreilles. Sauf qu’ici la maman ou le papa ont les mains « rouge tannin ».

Territoire peu connu, l’élevage est souvent assimilé à la vinification comme je le lis parfois, alors que pas vraiment. C’est l’étape suivante, après que le moult de raisin (jus fraîchement broyé, peau, pépins, parfois les rafles – les tiges, la charpente du raisin) vient d’être transformé en vin. Le bébé jus est hésitant, Il a besoin d’accompagnement pour l’aider à délivrer toute la complexité et le potentiel qu’il porte en lui. Ce vin « brut » possède à la naissance un certain nombre de caractéristiques qui vont influencer la suite des opérations, car tous ne naissent pas égaux à l’endroit où ils naissent ( !). Nous allons justement en parler.

Pour continuer dans l’imagerie laroussienne, pendant des décennies l’élevage était synonyme d’éducation à la dure. Le vin était logé dans des barriques longuement chauffées au feu vif du brasero afin de le charger en tannins rugueux et virils. Tu seras un homme mon fils ! Mais tu vas devoir attendre quelques années avant de devenir une personne aimable.

Fort heureusement aujourd’hui nous sommes sortis de ce patriarcat (je n’ai pas dit Parkeriacat) comme nous allons le voir.

Chateauneuf du Pape Clos du Jas

Tout d’abord, comment fait-on naître du vin ?

Mon propos n’est pas de vous faire un cours de vinification, je n’en ai pas du tout les compétences. Il est toutefois utile de se rendre compte de la complexité de la chose, fort éloignée de la simplicité biblique des noces de Cana. Voici quelques facteurs qui ont leur importance :

L’encépagement, l’âge des vignes, le sol (terroir).

  • Bien évidemment chaque cépage à ses propriétés organoleptiques, la syrah est totalement différente du grenache, ne mûrit pas au même moment, alors que les deux sont autorisés sur une même appellation. Un Châteauneuf du Pape 100% syrah (il y en a) ne ressemblera jamais à un CDP 100 % grenache (plus courant). Preuve que les appellations ne sont pas toujours synonymes de goûts standardisés. Mais je m’égare.
  • Une jeune vigne est souvent mise en exploitation vers sa quatrième année. Son jus sera différent de celui de sa grand-mère centenaire. Question de rendement et de concentration.
  • Un sol drainant (qui laisse passer l’eau) et un sol argileux (qui au contraire la retient) n’alimentent pas la vigne de la même manière. Toujours en Châteauneuf du pape, appellation assez emblématique des disparités possibles d’une même région, une parcelle de galets qui accumule la chaleur ardente du soleil et la restitue à la vigne ne produira pas DU TOUT les mêmes jus qu’un sol sablonneux ou calcaire. Château Rayas n’a rien à voir avec le Domaine Maravilhas. Aucune hiérarchie dans mon propos, même si je bois l’un plus souvent que l’autre.

La date à laquelle se sont déroulées les vendanges

  • Le millésime 2022 en est l’exemple type. Vous vous en souvenez certainement – et c’est malheureusement amené à se reproduire, nous avons été confrontés à une longue sécheresse. La vigne souffrait énormément, les grains de raisins se desséchaient littéralement sur pied. Fallait-il attendre une pluie salvatrice qui allait redonner du jus ou sauver immédiatement ce qui pouvait être sauvé? Dilemmes. Nuits blanches de réflexion… Et soudain il a plu… Sur ce millésime il existe les vins des vignerons prudents et les vins des vignerons patients.

Une extraction légère ou soutenue

  • Le raisin a-t-il été traité avec douceur, pressé doucement, sans être bousculé, ou plutôt passé au presse-agrumes afin d’extraire le maximum de son potentiel? C’est un peu l’équivalent du café expresso opposé au café filtre. Un jus ristretto ou léger ? De préférence sans sucre le café. Le vin aussi. Autrement il est dit chaptalisé. Ce qui est rare de nos jours avec le réchauffement climatique. Sauf en 2021 dans certaines régions. Mais chut…
  • C’est aussi que l’on appelle une «infusion » comparée à une « bonne extraction ».

La vinification intégrale (ou pas)

  • La plupart des vignerons égrappent, c’est-à-dire enlèvent les éléments solides, la rafle, pour ne presser que les grains de raisins.
  • D’autres les gardent, et en plus font les vinifications directement en barriques. Vous imaginez bien que le résultat est différent.

Le contrôle des températures

  • Sans rentrer dans les détails, la transformation sucre / alcool s’accompagne d’une montée des températures. Pouvoir les maîtriser (ou les réguler) permet de mieux contrôler les fermentations et de corriger certains défauts potentiels.
  • Voire même tout simplement de bloquer au froid le démarrage des fermentations (au froid les levures font dodo), ce qui permet d’attendre d’avoir rentré toute la vendange et de la vinifier dans le calme.

Les rajouts de « chimie »

  • Il est tout à fait possible / autorisé «d’aider » le raisin à fermenter, et en profiter pour lui rajouter quelques arômes pas naturellement présents via des levures « commerciales ». Car non, le Beaujolais nouveau n’est pas produit avec des bananes écrasées ou des fraises tagada mélangées au gamay.
  • Je resterai pudique sur les sulfites (SO2), mais je n’en pense pas moins. C’est un peu la clé à molette universelle qui permet de tout contrôler et tout nettoyer du sol au plafond.

Il y a certainement beaucoup d’autres facteurs qui influent sur le vin « nouveau » , que les experts de la chose ne me lapident pas immédiatement, j’ai encore des choses à écrire. Et sur des domaines que je maîtrise mieux. Mais c’était un passage obligatoire, sans doute rébarbatif à lire, je m’en excuse à nouveau.

Chateauneuf du Pape

La fiche d’état-civil du vin nouveau

Avant toute chose le vin a une couleur, qui va du blanc diaphane et transparent au jaune soutenu, à l’orange, au rose, au rouge grenadine jusqu’au pourpre bien foncé (si vous voyez du bleu, enlevez vos lunettes polarisantes).

  • Généralement la couleur est révélatrice de la charge en tannins (naturels, issus de la peau et des matières ligneuses du raisin). Le vin blanc n’en a pas, certains «oranges » un peu – car c’est en fait un vin blanc qui a macéré avec sa pulpe pour lui piquer des pigments, et donc un peu de tannins. Le rouge, qui a macéré plus longtemps pour obtenir sa belle couleur, en a, chanceux qu’il est.
  • Cette «charge» tannique est importante car elle donne ce que l’on appelle la mâche du vin, cette sensation d’avoir de la consistance dans le jus que l’on boit. De l’épaisseur. Parfois les tannins sont nombreux et fins, tout va bien, parfois ils sont un peu grossiers et attaquent au marteau-piqueur vos gencives qui n’en avaient pas besoin. Soit c’est irrémédiable et donc un défaut, soit il est possible de trouver un moyen de les enrober de douceur pour les assagir. C’est l’un des rôles de l’élevage (mais pas que). Ces tannins, en dehors de leur rôle structurant, vont aussi aider le vin à traverser les années sans qu’il ne s’écroule et rende l’âme, lassé de sa vie à l’ombre et au frais.

À cela il faut rajouter un degré d’alcool (lié au sucre du raisin, à leur maturité) et aussi et surtout un taux d’acidité (mesuré par le pH). Le raisin possède des acides naturels, auxquels d’autres viennent se rajouter ou se substituer pendant les fermentations. Ils sont importants car ce sont eux qui donnent une sensation de fraîcheur de bouche en contrebalançant la « lourdeur » de l’alcool. L’équilibre du vin. Un vin mou et pâteux (vous en avez tous en tête), est un vin qui en manque. À l’opposé, un blanc « jus de citron » vous amène tout droit chez le dentiste.

  • Petit aparté: avec les changements climatiques que nous connaissons, les raisins mûrissent de plus en plus rapidement jusqu’à obtenir un degré potentiel d’alcool impensable il y a peu. Dans certaines régions on frôle allègrement le 17°, alors qu’il y a 20 ans un Châteauneuf (oui je sais, toujours la même région, mais j’y vais souvent en ce moment) à 14°était considéré comme un vin OVNI vinifié au Sahara. Il est devenu fondamental aujourd’hui de maîtriser l’acidité et la maturité pour éviter que notre joli canon du quotidien (consommé avec modération il va de soi) ne devienne le frère jumeau du vin chaud des marchés de Noël Alsaciens. D’où les remises en question de certains cépages qui montent dans les tours alcooliques un peu trop rapidement, les tailles de vignes qui protègent mieux la grappe des brûlures du soleil, les terroirs moins exposés (au nord). Parenthèse fermée.

Et enfin, le critère le plus subjectif : la charge aromatique. Même s’il est possible de jouer à l’ingénieur chimiste avec les levures artificielles comme nous l’avons vu, certaines années donnent des jus gorgés de fruits et de fleurs. Le soleil a été câlin et attentionné, le raisin en ressort imbibé de cet amour. Il y a certainement une explication rationnelle, je préfère rester dans l’émotionnel.

  • Parfois les vins naissent avec ces beaux arômes, mais ne sont pas extraordinairement puissants. Ils vont plus tard devenir des jolies bouteilles faciles à boire. Je pense au récent millésime 2021.
  • Parfois l’année a été si généreuse qu’il y a le fond et la forme, fruit et densité, tannins… Eau et gaz à tous les étages, c’est la fête au village. THE millésime.
  • À l’opposé, parfois il n’y a pas grand-chose. Une année de m… Pluie, gel, grêle, mildiou et oïdium (maladie de la vigne). C’est rare à l’échelle d’un pays mais possible pour une région. Je pense à mes amis champenois en 2021.

Quel que soit le cas de figure et la morphologie du vin naissant, le vigneron va devoir l’élever, l’accompagner pour le faire grandir. C’est ici que l’élevage commence. C’est maintenant que les barriques, amphores et autres boules de verre débarquent.

Mais c’est une autre histoire, pour un autre chapitre.

Hasta luego amigo !

Bruno

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