Épisode 3 – Le chic des Barriques.
Voici l’article le moins facile à écrire.
Qui va le lire ? Les pros, les moins pros, les curieux…
Pas évident de plaire à la plupart. Soit on est jugé technique, et donc pénible pour rester poli, soit pas assez sérieux. L’autre piège est de ne pas en dire assez, la plume devient alors vite ennuyeuse, ou trop, et d’aucuns vont dire que l’on dévoile des petits secrets connus des seuls initiés, et donc que…
Allons-y tout de même.
L’élevage dans un contenant en bois (chêne principalement, acacia, châtaignier…) a le plus souvent été perçu comme l’apanage des vins de Bordeaux. Les nectars étaient ainsi enrichis par l’apport d’arômes toastés (voire brûlés) car cela plaisait aux critiques et aux buveurs /dégustateurs. Ensuite toutes les régions s’y sont mises, toujours selon la croyance populaire, afin de suivre le grand frère connu dans le monde entier. Et donc combien de bouteilles n’inscrivent pas fièrement la mention « élevé en barrique de chêne ».
Fort heureusement nous sommes sortis de ce diktat, et la barrique est enfin, à part chez quelques irréductibles, reconnue pour une tout autre qualité. Le bois est un matériau vivant qui fait respirer son contenu en laissant passer de l’oxygène, et ce avec une intensité plus ou moins variable. Enfin nous y sommes. Le bois est perçu comme un facilitateur, un ami qui favorise les échanges, et non pas comme un apprenti maquilleur. Car, toujours pour enfoncer une porte ouverte, un mauvais jus dans une belle barrique produira toujours bouteille piteuse, au-delà de la couche « aromatique » de surface.
TOUS LES BOIS NE SONT PAS ÉGAUX
On pense souvent au chêne au sens large, mais c’est l’arbre qui cache la forêt ( !), car il y a chêne et chêne. Et d’autres essences de bois.
Le chêne, surtout la variété dite « sessile » qui nous intéresse ici, est un bois noble. Il résiste à la compression, à la torsion, est flexible une fois chauffé, et contient beaucoup de tanins, ce qui le protège des maladies (champignon, insectes.)
De plus il a des arômes délicats et un grain très fin. Bref toutes les qualités.
Colbert l’avait compris et est à l’origine du développement de la forêt de Tronçais dans l’Allier, bien contenu des vignerons. Désireux de doter la France d’une puissante marine, il y a planté plus d’un million d’arbres, destinés à faire coques et matures de notre flotte de l’époque. Les sols y sont très pauvres, acides, d’où une pousse lente qui resserre le grain des fibres. Un arbre adulte peut avoir plus de 150 ou 200 ans. Je vous invite à visiter cette très belle forêt, maintenant protégée par l’Office National des Forêts.
D’autres régions recèlent également de belles futaies, la Bourgogne, les Vosges, ou la Gascogne. Les grains y sont différents, de même que leur qualité sensorielle, liée à la sève et aux nutriments du sol. On peut mentionner également aussi les forêts de l’Europe de l’Est, voire même le chêne américain, parfaitement reconnaissable en dégustation par le sucré et l’arôme de coco qu’il apporte.
Certaines origines sont plus prisées que d’autres, qualité du grain, des arômes, impact sur le jus qui y est logé. Nous y reviendrons.
Depuis quelques années on parle de l’acacia, et même récemment du Châtaignier. Ces essences particulières sont encore peu utilisées car leur impact est sensible et ne convient pas à tout type de vin. Je les laisse pour l’instant de côté.
Quels sont les critères de choix d’une barrique ? Quels impacts ?
Si vous avez lu l’un de mes précédents papiers sur l’art de fabriquer une barrique, vous savez qu’il en existe de différentes tailles. En résumé (je parle ici de l’élevage du vin, pas de l’alcool ou pour du transport), celles-ci vont de 225 litres (la Bordelaise, qui permet de remplir 300 bouteilles de 75 cl) ou 228 litres (la Bourguignonne, un peu plus trapue) à 600 litres (que l’on appelle aussi demi-muid). En passant par les 300, 350, 400 ou 500 litres. Je m’en excuse, je laisse de côté les « foudres », plus gros et pas pour le même usage.
Selon la taille de la barrique, les douelles (les lattes pour le profane), bien évidemment fendues pour respecter le fil du bois et donc éviter les fuites, sont plus ou moins épaisses. Elles vont (généralement) de 22 mm d’épaisseur (Bordelaise) ou 27 mm (Bourguignonnes) à 40 minutes pour les 600l.
Vous imaginez sans trop de souci qu’une douelle épaisse va occasionner une « oxygénation » du vin plus lente, et donc avoir des conséquences sur l’élevage.
Pour résumer, lors du choix d’une barrique, au-delà de tous les emballages marketing de chaque tonnellerie, il y a quatre paramètres principaux à prendre en considération, qui ont tous un rôle important :
- La taille de la barrique.
- L’épaisseur des douelles.
- Le type de cintrage (comme a-t-on chauffé les douelles pour les «tordre » ?)
- L’intensité de chauffe.
Je tiens à préciser au lecteur que toutes les observations et conseils qui vont suivre ont été faits de façon empirique, sur la base de centaines d’observations / dégustations dans la plupart des régions viticoles françaises, et sur à peu près tous les cépages. Je n’ai pas encore eu encore le temps d’y coller mon rationnel d’ingénieur pour vous expliquer par de savantes formules celles-ci. Si certains d’entre vous s’y sont déjà amusés, ils sont les bienvenus.
- Petit ou gros?
L’impact de la taille influe considérablement sur le rendu du jus en fin d’élevage. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le vin lui-même. Et à y réfléchir, c’est un peu normal ! Le ratio volume de vin en contact avec le bois est totalement différent. Dans cette rubrique je vous donne tout de même quelques chiffres.
En gros, le linéaire développé d’une barrique va de 2,1 m2 de bois pour une 225 litres à 3,7 m2 pour un 600. Soit un ratio de 0,93 m2 de contact pour 100 litres de vins pour le petit format jusqu’à 0,61 m2 pour le demi-muid. Et donc 50 % en plus si vous m’avez bien suivi.
En conséquence les gros formats offrent un milieu plus réducteur (effet inverse à celui de l’oxydation) au vin car celui-ci est moins en contact avec l’oxygène (-50 %), et également moins d’impact aromatiques (apport du chêne chauffé). Les dégustations montrent également une « tension » supplémentaire rajoutée par le gros format (une longueur en bouche plus marquée).
Pour résumer, le « marquage » bois est plus sensible sur les petits contenants, les gros ayant tendance à mieux conserver le fruit original, tout en apportant une tension supplémentaire et une touche de réduction (pas nécessairement un défaut). Le 600 l est un format que j’apprécie, particulièrement sur certains blancs. La complexité aromatique est sans égale.
Il m’arrive de goûter à certains jus identiques logés dans différents formats, les résultats sont assez éloquents. Difficile parfois d’y reconnaître le même vin. Ou même (hé oui), y déceler une barrique neuve !
- Épais ou pas trop la barrique ?
Les douelles épaisses procurent une oxygénation plus lente. Lors d’élevages longs (supérieurs à 12 mois, parfois supérieurs même à 24), cela peut s’avérer très utile. Sur des gros formats (400 ou 500 litres), j’ai noté un toucher de bouche plus délicat (velours). Si l’élevage est court (4 à 8 mois), aucune nécessité de chercher du très épais.
Par contre, quand la chauffe est douce et quand on ne recherche pas un boisé impactant, l’effet d’une douelle épaisse est incomparable dans le temps.
- Cintrage doux (vapeur) ou plus fort (feu)?
C’est une question que peu se posent, alors que pour moi cette étape est assez essentielle, parfois même plus que l’intensité de la chauffe. Le cintrage (tordre les douelles pour leur donner une forme arrondie) est la première étape au cours de laquelle le chêne encore neutre va être au contact d’une source de chaleur.
J’aime faire l’analogie avec la cuisson d’une pièce de viande. Aujourd’hui quand je cuisine une belle côte de veau (plus délicat que le bœuf), je la passe d’abord au panier à vapeur (douce) pendant un certain temps (qui dépend de son épaisseur). La viande va chauffer à cœur, et rester tendre tout en conservant ses parfums originaux. Je la « marquerais » plus tard au feu vif d’une fonte ou d’un acier.
Pour le bois c’est un peu le même principe. Une grande cloche va recouvrir les douelles assemblées, et la vapeur d’eau va doucement chauffer le chêne à cœur sans changer son aromatique. Elle va simplement adoucir / assouplir la future barrique encore droite, et de surcroît dilater au maximum les pores du bois afin que la chauffe qui suit pénètre plus profondément. Seconde cerise sur le gâteau, cette vapeur enlève les polyphénols les plus amers du bois.
Il existe des variantes à la vapeur, utilisées par certains dans une même optique. Je ne les connais pas assez pour en parler.
Ce type de cintrage a un effet plus « apaisant » et respectueux (des caractéristiques organoleptiques du millésime), mais – tout de même un mais – il demande un jus possédant une belle acidité naturelle. Dans le cas contraire, doux sur doux donne du mou… et un vin pâteux. Lors de millésimes solaires, un cintrage « normal » effectué sur un brasero de feu peut retendre le tout et est parfois préférable.
Il n’y a donc pas de vérité, et chaque cépage a son propre pH et réagit différemment. Il existe aussi le facteur « fermentation malolactique »… Mais ceci est une autre histoire.
- Une chauffe douce ou plus intense?
Longs débats d’école. Barrique toastée ou pas. Arômes supplémentaires ou pas (café, chocolat, réglisse, vanille, coco, orange confite…). On trouve de tout dans les dégustations en cour d’élevage. Un dégustateur averti (bien averti tout de même) est capable de déceler la provenance du bois (parfois même la tonnellerie qui l’a chauffé !). Un bois des Vosges, de l’Allier ou d’Europe centrale à une signature organoleptique particulière. Le Chêne américain est très particulier (exotique dirons-nous…).
Je pense que la question de la chauffe est moins liée aux arômes souhaités qu’à la quantité de tannins du vin naissant. Donc une histoire que se racontent les vins rouges. Les blancs sont plus civilisés, et demandent (encore une fois de mon point de vue) des chauffes plus aimables. Les tannins demandent à être enrobés, polis, patinés, de manière à respecter les gencives et le palais du consommateur. Surtout quand les vinifications ont été faites grappes entières, non éraflées. Une belle chauffe va les amadouer, les calmer, sans nécessairement en rajouter trois couches. Car une chauffe moyenne ou forte ne veut pas non plus dire une chauffe brutale, à la « Jack Daniels », où le tonneau est littéralement cramé, et le vin torréfié.
C’était un peu la mode avant. Les comptes rendus des critiques faisaient alors part d’un pudique « élevage qui va demander quelques années avant de se fondre ». En résumé, du bois, du bois, et encore du bois dont l’effet allait peut-être se réduire à la majorité de vos arrières petits-enfants (sachant que votre aîné avait 3 ans). Aujourd’hui le paysage a changé, les chauffes sont mieux maîtrisées, plus longues. Le bois est utilisé pour accompagner le vin plutôt que de lui fournir une béquille (en bois il va de soi). Chaque cépage l’accepte à sa façon, un merlot n’est pas aussi gourmand qu’un cabernet sauvignon, un vin infusé n’a pas la même demande qu’un jus bien concentré.
EN RÉSUMÉ (toujours réducteur je m’en excuse)
In fine, tout est une histoire de goût, d’envie, de clientèle, de positionnement… Chaque vin a sa propre histoire, écrite et voulue par son auteur, et l’élevage en barrique une finalisation possible de cette histoire. Nous n’avons pas abordé aujourd’hui les amphores, en terre cuite ou grès, les contenants en verre (Wine Globe), les œufs en béton… Prenons notre temps. Comme le vin en demi-muids…
Bonne réflexion et à bientôt,
Bruno
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !